Souffrir pour être belle

« Souffrir pour être beau/belle » devrait être un choix (fait en principe par une minorité de gens), et non imposé à des personnes du seul fait de leur genre biologique, sans qu’on ne leur ait demandé leur avis. En tant que femme transgenre, on est souvent dans le premier cas, ce qui change tout. Typiquement, on déteste bénéficier des privilèges du genre masculin et on désire aussi les inconvénients du genre féminin, qu’on les considère réellement comme des inconvénients ou non, d’ailleurs. Il faut alors garder à l’esprit que notre expérience de vie est une exception. Ceci est un avertissement pour ce qui suit (en partie vrai, en partie exagéré et en partie fiction).


Depuis que je vis une vie sociale en tant que femme, j’ai eu l’occasion d’expérimenter ce que signifie « souffrir pour être belle ». Et le moins que l’on puisse dire c’est que j’en ai eu ma part, et je sais trop bien que ce n’est que le début. Les rituels de beauté sadomasochistes font désormais partie intégrante de ma vie. Malheureusement, il n’y a pas de beauté sans souffrance. La beauté se mérite.

Le premier de ces rituels est celui du maquillage, qui a surtout l’inconvénient de prendre du temps : 25 mn tous les matins. Quand je ne me suis pas mise du fond de teint dans l’œil, auquel cas celui-ci pique, pleure, et je peux à peine l’ouvrir pendant plusieurs heures.

Je me fais à présent régulièrement épiler. Si j’ai de la chance avec les aisselles (je ne sens quasiment rien), les bras et le ventre sont déjà plus compliqués (même si la conversation avec l’esthéticienne permet encore de le supporter). Ces conversations ne sont en revanche plus d’aucune aide pour l’épilation des jambes, un très mauvais moment à passer. Aucun homme ne comprendra jamais ce qu’il faut subir pour avoir ces jambes lisses et sublimes qui les font tant fantasmer. C’est un secret de femme, donc je n’en dirai pas plus.

Pour plaire, on n’a pas le choix, il faut porter des chaussures féminines. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le confort n’a pas été la première préoccupation lors de la conception de ces chaussures. Elles sont trop étroites, le talon est toujours surélevé, et plus il l’est, plus on est séduisante. Il en résulte un concours de celle qui pourra supporter la plus haute surélévation. Moi je suis ronde, mes chaussures avec un talon haut de 5 cm sont déjà très douloureuses au bout d’un certain temps, surtout quand je dois être debout longtemps, ou même marcher sur une distance non négligeable. J’ai pourtant récemment acheté des chaussures avec un talon haut de 7 cm. Pourquoi ? C’est en me regardant dans le miroir ma nouvelle paire aux pieds que je comprends pourquoi j’ai consenti à une plus grande torture. Au quotidien, je ne laisse rien paraitre de ce que j’endure, je me tiens droite et je souris.

Pour la grande majorité des femmes, les privations des régimes font partie du quotidien. Les hommes peuvent manger tout ce qui leur fait plaisir, leur apparence n’a pas d’importance. Pendant ce temps, il faut savoir, soi, simplement goûter aux bonnes choses puis s’arrêter alors qu’on aurait tellement voulu continuer. Avoir une alimentation composée principalement de légumes pas spécialement agréables à avaler alors qu’on rêve de junk-food. Sortir des repas en ayant encore faim. Essayer de manger encore moins, car souvent les efforts déjà fournis ne suffisent pas (les autres sont constamment là pour nous rappeler que l’on doit manger moins, le miroir aussi). Supporter la sensation de faim même quand cela devient très difficile, sans craquer. Pour les rares femmes qui y parviennent, la récompense est immense : un corps de rêve (un ventre plat, une taille affinée, des jambes gracieuses…). Celles-ci sont perçues comme de véritables reines, les autres femmes les envient et les hommes les désirent. Mais ces derniers ne se doutent pas que c’est la souffrance qui a sculpté les silhouettes de ces femmes qu’ils admirent tant. En ce qui me concerne, je prends de plus en plus de poids et je suis à présent en obésité morbide malgré mes efforts et mes privations. Peut-être parce que j’ai 38 ans, et le métabolisme diminuant avec l’âge, l’effort à fournir est plus important au fur et à mesure que l’on vieillit. Bon, j’avoue qu’il m’est arrivé parfois de craquer et de me régaler toute une journée, puis d’avoir de terribles regrets le lendemain en voyant mon nouveau poids affiché sur la balance. Soit je parviendrai à fournir encore plus d’efforts à l’avenir, soit je serai condamnée à être toujours plus grosse et à envier toujours plus les jeunes minces.

Ce que tu dis est très vrai, je me retrouve beaucoup dans ton message et pourtant... je ne me maquille pas, ne porte jamais de talons, ne m'épile que quand ça me chante... mais même si je n'obéis pas à ces critères de féminité je m'y sens contrainte, et parce que je ne fais pas comme tout le monde, et que je ne représente pas la femme idéale (eh oui, même à mon âge, les rondeurs sont dejà bien installées ;- j'ai du mal à me sentir belle...
Donc merci pour ton message, qui a le mérite de rappeler que être une femme, c'est dur

En fait, ce texte se veut érotique/masochiste, c'est pourquoi j'exagère. Pour le maquillage c'est vrai, pour l'épilation c'est vrai sauf pour les jambes pour lesquelles j'exagère (et dans le pire des cas si l'on n'aime pas on peut se raser, d'ailleurs je trouve la solution de l'épilation moyennement intéressante tout compte fait, on a une semaine sans poils par mois pour 100 € par mois si on le fait en institut), pour les chaussures c'était vrai au début (à cause de mon poids et de l'état de mes chevilles sinon 5 et 7 cm pour le talon ce n'est pas énorme) mais il semble que les 5 cm je m'y sois maintenant habituée. Pour les régimes, j'exagère énormément la propension à grossir, en France la plupart des gens sont minces et n'ont à mon avis pas énormément d'efforts à fournir pour cela. Et moi j'ai grossi volontairement, donc souffrir oui (la crème entière liquide ce n'est pas agréable à boire, on peut vomir, ça peut faire mal à certains endroits, ça m'a fait perdre à mon avis plus de 20 ans d'espérance de vie notamment avec le diabète type II diagnostiqué à l'âge de 36 ans), mais dans le sens contraire.

Dur d'être une femme, oui si ces choses-là nous sont imposées. En tant que femme transgenre forcément on le vit beaucoup mieux. Et si on a des masochismes bien placés on peut même aimer l'idée de devoir souffrir pour être belle.

Avoir du mal à se sentir belle si l'on ne se conforme pas aux critères de la société, pourquoi ? Si la mesure pour se sentir belle c'est par exemple la fréquence de la drague, en tant que femme il n'y a pas de souci à se faire, celle-ci est toujours très élevée. On ne s'en rend peut-être pas compte si l'on a toujours vécu ça, mais quand on a vécu en homme la différence est impressionnante. En homme je ressentais beaucoup d'indifférence. En femme, à 38 ans et environ 120 kilos, je plais mais brutal. Alors oui je sais on se compare aux autres, mais chacune a son style, il faut savoir apprécier son propre type de beauté.