J'ignore si des gendarmes en surpoids ou souffrant d'obésité existerait même en zone franco-belge, mais pour ma part il m'est arrivé de croiser au fil de ces dernières années des agents et agentes de police éprouvant de plus en plus de soucis (quoique fort mineurs) de tour de taille dans le Grand Montréal.
En ce qu'il me semble, les agents de terrain œuvrant au sein des les services d'urgence dans les régions métropolitaines canadiennes ont la réputation plutôt commune de se maintenir dans une forme impeccable. Des casernes de pompiers s'entre-compétitionnent fréquemment à des défis sportifs amicaux n'ayant rien à envier en termes de fréquencité et de vigueur à des championnats de CrossFit multi-terrain et posent régulièrement leurs corps aux muscles noueux dans des calendriers coquettes à l'attention de leurs admiratrices. Les escouades tactiques au sein de nos forces policières reçoivent annuellement une batterie de tests en formation de terrain de niveau militaire et les rares policiers dont l'index de masse corporelle varierait entre les 25 à 39 en IMC seraient soient au mieux éloquemment costauds mais potelés, ou dans tous les cas de véritables poids-lourds du culturisme n'ayant jamais tout à fait grandis par-delà la mode gymnastique des années 1980 et les championnats de la WWF diffusés à la télé câblée lors de leur jeunesse.
Il serait donc en somme que très rare de croiser en sa route des flics ou des ambulanciers à proprement parler cliniquement obèses dans le sens le plus familial du mot au sein de toutes ces institutions.
Toutes SAUF une… le commissariat chargé de la juridiction du voisinage qui me vit voir le jour. Quoiqu'il n'en fût pas toujours ainsi.
Cela devait remonter à il y a de cela près de neuf années. J'étais alors âgé de dix-huit ans et une broutille sans nulle réelle gravité poussa une patrouille de bleus à venir nous rendre une petite visite à domicile.
Un binôme de jeunes Blancs novices en uniforme, tous deux de corpulence moyenne et d'environ sept années mes aînés m'interpellèrent : un homme plutôt robuste d'environ six pieds deux pouces de haut (ou 1m87-- la taille la plus commune au sein des forces policières de notre ville) ainsi qu'une attrayante femme de même taille, le regard d'un bleu gris vif et les cheveux dorés attachés en queue-de-cheval, m'interpellèrent, l'air affable. N'ayant jamais aperçu pareille chose telle que des policiers aux intentions saines envers les gens partageant ma couleur de peau lors de mon enfance, je m'épris de vive méfiance envers le duo, leur racontant brièvement les antécédents violemment anti-professionnels de leurs prédécesseurs et seniors ; mais les deux jeunes gens me convainquirent très vite qu'ils étaient d'une trempe différente et me familiarisèrent sur la base de notre trop peu de différence d'âge. Ils me rassurèrent et rendu à un certain point, m'offrirent même des billets d'abonnement mensuel gratuit limité pour le centre de sports du coin. Après quoi, ils décampèrent tranquillement et reprirent leur patrouille.
Bizarrement, je gardai beaucoup mieux en souvenir la vision de de cette grande blonde qui me talonnait d'au moins une bonne dizaine de centimètres de plus à l'époque et sans doute pas uniquement en raison de sa familiarité ou de son joli minois… Je peux encore tout à fait me remémorer de la forme de son grand nez, ses lèvres fines et décharnés, sa complexion franco-normande, son teint rosé tirant avec délicatesse vers l'olivâtre, son long cou frêle ; mais aussi moult détails que seul un regard lorgneur fort discret aurait pût aussi bien dénoter tel que son physique presque filiforme mais athlétique et dont ni l'encombrante veste pare-balles la couvrant de la gorge aux reins, pas même que sa tenue de patrouilleuse à la découpe ample, ne sauraient guère toutes davantage bien dissimuler les contours de sa silhouette altière et de ses longues jambes tonifiées par des séances régulières d'entraînement au gym, de même que les plis bossus de forme circulaire du haut de sa chemise pressants tous contre son gilet de protection, suggérant une poitrine de taille modeste (c'est à dire un bonnet D au Québec) .
Cinq ou six années passèrent depuis ce temps. Je devais être âgé de bientôt vingt-quatre ans et me rendait faire des courses. La canicule estivale de mi-juillet battait son plein en ce début de soirée et des mises en chantier pour la rénovation des artères routières du quartier avait sérieusement fait congestionné le trafic en certains de ses principaux boulevards. Des patrouilleurs furent chargés pendant des jours à gérer la circulation routière de l'orée de l'aube à la tombée de la nuit durant des moments desquelles pareille congestion en cette période de la journée pouvait souvent perdurer de quinze à dix-neuf heures.
Je me mettais à traverser sous l'indicateur du feu piétonnier l'une de ces encombrantes intersections de boulevard, me rendant en direction de la pharmacie, lorsque je fus stoppé net par un coup de sifflet strident. Une policière de constitution robuste - me semblant dans la fraîche trentaine me parût-elle - m'aboya d'un ton et d'un regard austère de bifurquer immédiatement sur mes pas, un doigt empâté pointé agressivement en direction du coin de trottoir que je venais de franchir. J'écarquillais un sourcil mais obtempéra rapidement… dans ce quartier, mieux valait éviter de chercher des entourloupes auprès d'un flic.
Elle fît d'abord passer une contingence d'automobilistes puis me signala impérativement d'un geste de la main que c'était désormais mon tour. Arrivé seulement à près d'une demi-dizaine de mètres de l'autre versant du boulevard, elle se mit à dodeliner pesamment mais promptement vers le milieu de l'interjection, l'air de vouloir feigner qu'elle chercherait à réaffirmer son contrôle sur cette voie routière alors qu'en toute franchise elle ne cherchait rien d'autre qu'à se tenir à l'écart de mon passage. Classique, eussé-je songé sur le coup, attendant de m'être éloigné suffisamment de sa portée d'atteinte auditive déjà mis à maille par le chahut urbain avant de me mettre à tchiper, indigné. Mais un bref regard furtif de par mon épaule me fit prendre conscience que la bleue me dévisageait toujours avec autant de méfiance et d'hostilité.
J'étais déjà bien habitué à tous ces regards désobligeants et colériques emplis de haine et d'ignorance depuis aussi longtemps que je me souvienne. Mais il y avait toutefois un sentiment de déjà-vu lorsque j'apercevais cette femme qui me laissait sans raison aucune davantage bien moins ennuyé et prudent que déçu…
Une douzaine de minutes plus tard, je revenais de la pharmacie, des sacs d'emballage en plastique en chaque main. La grosse mégère raciste se tenait sur le bord du trottoir, visiblement un peu exténuée : se la jouer seule aux gendarmes routiers pendant huit heures d'affilée sous un soleil de plomb, un gilet pare-balles taille XXL et son propre corps pesant plus de 300 livres (136+ kilos) ne devait pas être la plus aisée des tâches pour une personne en son état physique, même en dépit de sa taille imposante. Elle ne semblait pas avoir remarquée ma présence, ce qui la fit quelque peu tressaillir du regard-- quoiqu'elle cacha son jeu de poker avec brio.
« Il fait sacrément chaud ce soir » , ai-je commencé. Étais-ce parce qu'elle me semblait étrangement familière, afin de défuser cette calamiteuse bombe à nerfs d'environ plus de six pieds de haut et d'un pied en moins de large prête à me sauter à la gorge d'un moment à l'autre ou étais-ce afin de la narguer astucieusement en répartie à ses mauvaises manières?
« Quoi? » me demanda t-elle sèchement, semblant ennuyée que je tenterais même de lui adresser la parole.
« Euh-- hum, je disais seulement, ai-je poliment rétorqué, qu'il fait sacrément... (ralenti) chaud ce so--…
Je me retins de déloger ma mâchoire sur place, estomaqué.
- Ça, j'ai compris, me coupa t-elle. Qu'est-ce que tu me veux??
Cela me frappa d'un coup : les mêmes yeux, le nez proéminent, sa voix, son accent. Bordel, est-ce bien toi??
- Nous ne serions-nous pas déjà rencontrés? Ai-je osé.
- Ton tour de passer la route, acheva t-elle, maugréant davantage. Son langage non-verbale m'alertait qu'il se serait recommandable que je cesse d'embêter cette brute épaisse au visage de pourceau tout rougeaud et matronal encore plus longtemps.
Mais il n'y avait pas de doute! Elle était sans doute différente de la gentille et aimable novice d'il y a de cela plusieurs années, mais c'était sans l'ombre d'un doute de cette blonde qui suscita tant de curiosité en mon esprit. Ses traits de visage fin désormais difformes et enflées presque par-delà tout semblant de familiarité et déjà en prise avec les premiers signes de l'âge, les joues joufflues, un double menton lui confinant le cou, le corps charnu et sur-poitrinaire avec son ventre gras et large… adieu aux gambettes tonifiées de top-modèle, à l'espace vide entre les cuisses et à la démarche altière et dites bonjour aux cuisses de jambon compressées les unes contre les autres, à ces dirigeables mamelues lui rendant la vie difficile et au flanc droit qui presse un peu plus chaque semaine de façon inquiétante contre le levier de vitesse. Un véritable ballon de baudruche.
Je fis mine de n'avoir rien dis et continua mon chemin. Depuis lors, nous nous sommes plus jamais croisés.