Absence de preuves ne veut pas dire preuves de l'absence...

Lili (2017)

Je suis seule dans ma chambre. Les volets sont tirés, aucune lampe d'allumée. Il est midi, je crois, mais pour moi le temps s'est arrêté. J'ai appris que mon chanteur préféré est mort à la radio, moi qui essayais de trouver du réconfort. Tant pis, je ne sors plus. Je ne veux plus voir ce gars dont le nom me fait vomir rien qu'à y penser, dont le regard pervers m'a glacé le sang, dont les mains me donnent des cauchemars depuis qu'il a osé abuser de moi. Six mois que m'isole. Je ne me reconnais plus dans la glace les rares fois que je pense à me laver. Les premiers jours c'était l'inverse, je prenais des douches toutes les heures, mais impossible de ne pas me sentir sale malgré tout. Du coup j'ai perdu tout espoir de laver cette infâmie. Au départ je voulais me laisser mourir de faim, mais mon corps a voulu en faire autrement. Il m'a fait comprendre que le criminel qui avait voulu me voler ma vie m'avait choisie parce que j'étais mince donc désirable. Il fallait donc que je m'enlaidisse et donc que je grossisse. J'ai vendu presque toutes mes fringues pour de la malbouffe. Plus c'était chimique et calorique et bizarrement bon marché, mieux c'était. Celles qui me restent laissent voir un gros bide couvert de vergetures, forgé par des crises d'hyperphagie. J'ai les traits tirés parce que je me gave la nuit, enfin je crois que c'est la nuit. Je suis échevelée, je pue la sueur parce qu'il fait chaud sans que je n'ose ouvrir les fenêtres de peur d'être épiée, et que je n'ai pas l'habitude de me déplacer avec autant de graisse, mon t-shirt informe est taché de ketchup et de chocolat. Voilà ce que j'ai raconté à la psy que la policière s'occupant de ma plainte m'avait conseillée d'aller consulter. J'avais mis le réveil hier. Pas question qu'il s'en sorte malgré mon état.

Jean (2017)
Je suis seul dans ma chambre. Il n'est pas minuit, il est 23H59, maman! Plus qu'une minute pour noter l'adresse de ce forum.
Le temps file si vite. On me croit isolé mais depuis quelques jours, je crois que je touche le but concernant mon identité. Je suis bien sapé avec mon nœud papillon sur t-shirt à message. Je suis rasé de près. Enfin un endroit où on comprend que j'aime les femmes dodues mais uniquement d'un point de vue esthétique, et qu'en dehors de ces femmes, je ne ressens au mieux que de l'amitié. Il faut que je me montre sous mon meilleur jour si un jour je veux vivre cet amour chaste et courtois qui est mon idéal. Maman a raison par contre, il faudrait que je revienne progressivement aux 22 heures qu'elle m'autorisait au lycée. Je suis quelqu'un du matin à la base. Je croyais avoir besoin d'un psy, mais je crois que ça va aller. Bien plier mes affaires avant de me mettre en pyjama dinosaures. Je m'endors en espérant me comporter en preux chevalier devant ma demoiselle en détresse.

Ça commence très bien, curieux de lire la suite !

Ohw super intéressant et original! On a hâte de lire la suite !

Lili (1er jour du procès, le jour de 2018 en question reste confidentiel pour des raisons de procédure):

Je fais toujours des crises d'hyperphagie, mais moins souvent la nuit. Je ne m'étais pas aperçue que j'économisais autant d'argent à manger pas cher et à ne pas sortir. J'ai pu m'acheter une tenue la plus digne possible pour témoigner en tant que victime. J'ai eu un moment de panique en constatant que j'avais dû aller la commander en ligne sur un site pour femmes fortes. A ce moment-là, j'avais été tentée par un régime, mais la formulation "femme forte" avait une autre connotation pour moi. Mon avocate est admirative de ma démarche, apparemment l'individu est un récidiviste et je suis la seule à avoir osé aller au bout. Je me détestais toujours autant, mais je voyais cette transformation radicale comme une trace de mon traumatisme. J'ai quand même vomi ce matin, le stress et le dégoût profond pour celui que je ne voulais pas qualifier d'homme. Heureusement que la psy est de mon côté, pour mon malheur le médecin légiste a constaté un phénomène peu courant: mon hymen s'est reformé. Du coup il avait été tenté d'y voir une absence de preuves…

Jean (1er avril 2018)

Ce n'est pas une blague, j'ai commencé un talk show littéraire en matinale, mais plutôt parce qu'à une époque où la galanterie était un art de vivre, on commençait officiellement l'année ce jour-là. Maman est fière de moi, moi l'ancien timide, on entend ma voix à la radio. Je fais preuve de traits d'esprit, on m'applaudit pour la connaissance de certains poèmes courtois du Moyen-âge. Pour ceux qui m'écoutent sur le site internet de la station, je ferai l'effort de choisir ma tenue en fonction de l'auteur dont je traite et/ou du contenu du texte. Je suis un as d'après le forum auquel je consacre encore quelques minutes par jour. L'as de coeur, en rapport avec ma passion pour les preux chevaliers et les gentes dames. Un ancien utilisateur dont presque tous les commentaires ont été effacés était lui surnommé l'as de pique. Dans ce qui restait, il disait être fan de Motorhead, ce qui justifie le pseudo et aurait pu le rendre intéressant, mais apparemment, il aurait contrevenu gravement au règlement du forum, mais plus grave encore aurait des problèmes avec la justice. Si c'est le cas, j'espère qu'il en reste des traces consultables par les autorités. Je suis pour la présomption d'innocence, mais si c'est aussi grave qu'il se chuchote ça et là, il ne faudrait pas qu'il y ait absences de preuves...