Papa-scriptum
« 8 sur 20…. » Que puis-je dire à mon fils ? Moi non
plus je n’ai jamais été très bon à l’école. Il a attendu le dernier moment, la
plus ultime minute pour m’avouer cette terrible vérité ! Un 8 sur 20 en maths. Du haut de ses 8 ans, cette annonce signifie décevoir et risquer de perdre toute l’estime qu’un père peut porter à son fils.
« Tu as fait de ton mieux ? » Un petit hochement de tête timide confirme.
« C’est le plus important, mon grand. » C’est comme une marque de confiance, un geste de réconciliation.
En même temps, quand on voit son fils deux jours tous les 36 du mois on ne peut partir fâchés. Ah, le moment fatidique ou je le ramène à sa chère et si adorée mère, il me serre brièvement dans ses bras, trop content de la retrouver pour se retourner une dernière fois vers moi. Peu
importe. Elle, par contre, n’oublie pas
de me ramener à la réalité.
« Tu vas me payer la pension ? »
Que dire … « Oui. Comme d’habitude, mais là peut être que je pourrai
pas, pas la totalité, j’ai beaucoup de dettes. » Pour elle, c’est de l’argent facile, elle n’a jamais travaillé, elle prend à ceux qui en gagne. « Tu n’as qu’à en avoir moins. » Je préférerais avoir des dettes de jeu ou une vieille ardoise oubliée, mais non c’est quelque chose de pire…. Une sombre et infâme fatalité à laquelle on ne peut échapper. Les impôts….. « C'est à dire que, avec mon crédit auto… » Je n’ai pas ajouté « de ma petite et vieille voiture », « le loyer de mon appartement, » là non plus je n’ai pas ajouté « de 12 m2 », « et les impôts que je n’arrive pas a payer, plus la pension ça
risque… » Autant pisser dans un violon. Et de toute manière, elle ne me
laisse pas finir. « Je ne veux pas le savoir ! Tu vois ça ? C’est
une ordonnance du juge pour pas que tu oublies que tu dois me donner 400
euros ! » Quand je la regarde, il me semble voir marqué sur son front : « Frappez ici en cas d’urgence » Mais non, ne cédons pas à la violence contre
d’innocents violons. Elle s’éloigne avec un grand sourire et mon fils qui lui
tient la main comme la plus admirable des mamans… et moi ? Je n’ai plus
qu’à rentrer chez moi.
Je veux me rafraîchir le visage,
un simple filet d’eau me répond qu’on me l’a coupée…. alors je me dirige vers mon frigo, des petits papiers l’envahissent comme du lierre. Un
« n’oublie pas le pain » Pour qui est destiné ce message, pour
moi venant de moi certainement. Un autre indique « Mardi, prise de service
à Saint Denis », mais d’autre sont plus énigmatiques. Des heures
sans lieux, des listes d’objets trop chers convoités mais jamais achetés et là au milieu de tout çà, une note de mille couleurs mal écrite. Elle sort du lot d’encres bleues et noires…. « Je t’aime Papa. ». Ce mot est cruellement beau, je ne me souviens plus depuis combien de temps il hante mon frigo. Je me souviens juste que j’avais aidé mon fils tout le week-end à faire un beau dessin pour sa maman. C’est dur de se rendre compte que je ne suis qu’un post-it dans la vie de mon fils. Ma voisine d’en dessous joue encore de son saxo. Ce soir et comme d’habitude elle va toquer à ma porte pour me demander si elle ne fait pas trop de bruit, mais cette musique est parfaite. Elle colle bien à ma vie. Les tocs-tocs à la porte, qu’elle n’est pas ma surprise de ne pas voir ma charmante voisine mais la vieille gardienne. « Je m’excuse, mon bon monsieur, mais j’avais oublié de vous donner cette enveloppe, ce sont des messieurs bien habillés qui m’ont dit de vous la remettre en main propre. » Je ne pouvais pas lui en vouloir, à 75 ans son audition lui joue des tours. « Ce n’est pas grave madame Jambié, la prochaine fois faite-vous un petit
calepin, merci. »
Toujours aussi souriante elle
repart. Que me dit cette lettre mandatée par la plus grande guilde des
voleurs, l’état.... Le Trésor public. J’ai des sueurs, à la limite des
tremblements, encore plus que quand on m’agresse dans la rue, j’ouvre enfin... Sans surprise, je connais par avance le verdict. « Monsieur suite à vos non payements…- blablabla , - …huissier de justice viendra saisir vos bien le…- je regarde autour de moi, une télé que mon père m’a donné, un frigo, quelque BD qui agrémentent mon vieux canapé….. Ils trouveront certainement de quoi rembourser l’eau et l’électricité, ironisais-je tout seul.
Je n’ai même pas entendu ma
voisine frapper à la porte, ce n’est pas grave, je vais ouvrir ma fenêtre pour
l’entendre. Au 10ème étage tout ne parait être que des points, je m’assied
tranquillement sur ma balustrade, et d’un coup tout ces petits points me fixent comme si ils avaient enfin trouvé une phrase où s’apostropher. Certains prennent leur caméscope ou leur téléphone portable, je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde. Ma foi, tant pis, dans quelques secondes qu’elle importance cela aura-t-il ? C’est fou cette sensation d’être libre avant de s’écraser, j’espère que ceux qui verront cela sur internet me donneront au moins un 8 sur 10 !
…..je ne suis pas mort.... pas
encore du moins… j’ai mal….j’essaie de soulever mes membres mais ils sont comme de la pâte à fixe sur le bitume et mes vêtements comme un post-it sur l’asphalte…. Juste avant de passer de l’autre coté je regrette plein de choses… beaucoup trop pour avoir le temps de toutes les énumérer… Plus que d’avoir oublié d’aller chercher le pain, je regrette d’avoir été un papa-scriptum….
Texte écrit par Johnny
pour anecdote cette nouvelle avait été crée dans le cadre d'un concoure dont le thème était "note".
n'hésitez pas à critiquer merci.